1986 : Comment je suis devenue une pute à Blacks 3
Il est peut-être 6h15 ou 6h30 en ce froid matin de décembre 1986.
Un grand client black arrivé cinq ou dix minutes plus tôt me tient par les épaules et m’encule s’en retenue, me soumettant à une furieuse levrette qui fouaille mes viscères, me fait larmoyer de douleur et par instant, couiner de plaisir.
Dans le silence du petit matin seulement troublé par le bruit de succion mouillé de ma chatte et par le clappement mou et régulier des deux grosses couilles noires et pendantes qui giflent mon périnée, il y a soudain un énorme boucan venu de la porte de la cour, celle qui donne sur l’avenue du Président Wilson.
-« Qu’est-ce que c’est ? » m’interroge le grand black en suspendant à peine son martèlement.
-« Je sais pas… ».
Et je poursuis dans un halètement :
-«Allez ! Finis-toi vite… tu me limes depuis dix minutes, là ! »
Aussitôt après, on entend des bruits de bottes, des cris martiaux, des ordres, des fracas de toutes sortes et 30 secondes plus tard, la porte de la chambre de passe où je suis enfermée depuis des mois vole en morceaux et des flics surgissent armes aux poings dans la pièce…
Autant dire que le grand black qui s’acharnait sur ma croupe et me besognait la chatte en enserrant ma taille des ses larges mains sèches et calleuses, n’a pas le temps de fini son affaire : en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, il se retrouve à terre avec deux bleus agenouillés sur lui pour le menotter, l’un sur son dos et ses omoplates, l’autre sur ses jambes nues.
Le type gémit et supplie et c’est toujours gémissant et suppliant qu’il se retrouve dans la cour, traîné sur quelques mètres par deux flics aussi larges que des armoires.
De l’autre côté de la cloison, Tété que j’avais entendu rentrer un peu plus tôt, après avoir fini sa nuit de taxi, et qui avait ouvert ma porte pour y laisser entrer mon client, s’est vite retrouvé dans la même situation que mon client matinal.
Je les entends, lui et sa femme, hurler et insulter les condés…
Quant à moi, les flics ne me touchent pas et me parlent avec une certaine compassion.
Ils me demandent simplement de me couvrir et de les suivre dans la cour.
Je remets mon string de dentelle, j’att**** un lourd manteau d’hiver que j’enfile par-dessus ma guêpière et je les suis dehors.
C’est donc dans la cour, dans le froid matin et dans une demi-obscurité, qu’à la lumière des torches électriques, les cognes vérifient nos identités… Je ne peux que décliner la mienne et j’explique qu’on m’a confisqué mes papiers dès mon arrivée ici.
-"Ferme ta sale gueule espèce de salope !" me lance un Tété furieux.
Si mon client tremble de peur et supplie encore qu’on lui pardonne et qu’on le laisse partir tranquille, Tété et sa femme Véronique gueulent toujours, se débattent, ruent et protestent contre les manières peu amènes des poulets, les menaçant de porter plainte et d’en référer à leur consulat.
Nous restons dans cette cour grise, froide et malpropre entourée de hauts murs gris où, jusqu’à aujourd’hui, Tété et Véronique m’accordaient parcimonieusement l’autorisation de prendre l’air.
Je me tiens debout près de la porte fracassée de la cellule où j’ai été bouclée à double tour par Tété et Paul-Jo, il y a maintenant huit ou neuf mois et les trois autres, menottés dans le dos, sont assis contre le mur, Tété en pantalon de pyjama et marcel, sa femme, pieds nus et en chemise de nuit et mon client, bite à l’air, cul et jambes nues, seulement habillé d’un tricot verdâtre.
La perquisition a commencé dans les trois pièces voutées où habitent Tété et sa femme et dans celle identique où j’ai été détenue. Ce sont d’anciennes stalles d’écurie qu’un propriétaire rapace a transformées en logis à peine vivable. Ces quatre pièces communiquent avec la cour par des portes fermières dont les deux parties, la haute qui présente l’apparence d’une fenêtre et la basse qui ressemble à une porte, s’ouvrent indépendamment l’une de l’autre.
Nous attendons ainsi pendant une bonne heure en écoutant les crissements, craquements, grincements qui nous parviennent de l’intérieur et nous font comprendre que les flics n’y vont pas de main morte et sont en train de mettre les lieux sans dessus dessous, retournant et pétant tout ce qui leur tombe sous la main.
Puis finalement, tandis que le jour pointe, d’autres flics arrivent et nous font sortir.
Sur l’avenue du Président Wilson, les trottoirs fourmillent déjà de passants filant d’un pas pressé au travail.
Garés devant la porte de la cour, un fourgon de police nous attend dans lequel, moitié traînés, moitié poussés, mon ex-client, la taille entourée d’un vague tissu qui cache sa nudité suivi de Tété et de sa femme en tenue de nuit, sont hissés.
Je sors la dernière sur le trottoir et je m’apprête à prendre le même chemin qu’eux mais non, sous le regard de quelques badauds surpris qu’une créature dans mon genre puisse se trouver ici à une heure pareille, un flic me conduit vers une voiture banalisée dont il ouvre la portière pour me faire asseoir à l’arrière et après qu’il ait pris place à l’avant, côté passager, la voiture démarre en trombe, déboîte brusquement puis sirène deux tons hurlante, commence à se frayer un passage dans les embouteillages matinaux en projetant autour d’elle les froids éclats bleus de son gyrophare.
Rencognée et recroquevillée à l’arrière dans mon épais manteau, mes yeux se gavent du spectacle du grouillement humain dont ils ont été privés depuis de si longs mois…
À la Mondaine, 3 rue de Lutèce, par réflexe de pute mais aussi par peur des représailles, je refuse obstinément de charger Paul-Jo.
J’essaie de finasser mais à mesure qu’on me questionne et que je réponds partiellement et très imparfaitement, je sens monter l’agacement des flics.
Et je perçois moi aussi, au fond de moi, du plus profond de moi, monter ma propre colère.
Colère contre Tété, contre sa femme Véronique. Et contre Paul-Jo.
Cette colère m’envahit, me submerge, m’asphyxie…
Peut-être parce qu’il le sent, l’inspecteur élève subitement la voix jusqu’à presque me gueuler dans les oreilles :
-« Ecoute p’tit con… Tu vas pas m’faire croire que tu trouves ça normal que ces 3 enfoirés t’aient enfermé dans ce cagibi pour te faire passer dessus par tout les foyers Sonacotra du 93 en encaissant l’oseille à ta place ! … »
-« J’ai pas dit ça mais j’suis pas une balance. »
-« Une balance ! Mais t’es con ou quoi ?! »
-« J’suis peut-être conne mais j’suis pas une balance… »
-« Je rêve ! T’as vu trop de films toi… Tu sais comment ça s’appelle ce qu’ils t’ont fait ? »
-« Bin, c’est d’la prostitution, quoi… »
-« Nan, nan, nan ! Ça s’appelle de l’esclavage ! »
-« J’suis pas une balance » je répète butée.
-« Ecoute coco, tu risques rien. Ton mac on l’a serré avant les deux autres ! »
-« Qui ? Paul-Jo ? »
-« Ouais Paul-Jo ou Bamboula, comme tu veux… Et tu sais quoi ? Depuis une semaine qu’on surveille son clandé pourri, tu sais combien t’as fais de michetons ? »
-« Non, j’sais pas…ça fait longtemps que j’compte plus moi.»
-« Hé ben si toi tu comptes pas, nous on a compté pour toi et tu sais combien on en a compté ? »
-« J’m’en fous... »
-« 112 ! On en a compté 112…»
Alors, comme si ce chiffre incroyable ouvrait des vannes, je me mets à chialer.
Je chiale longtemps comme j’ai jamais chialé et je mouille trois ou quatre Kleenex que me tend l’inspecteur.
Et puis je dis
-« Ok… Par quoi, je commence ? »
-« Par le début. »
Alors, je raconte tout depuis le guet-apens de la Plantation, depuis les trois séances consécutives de dressage dans l’appartement où Paul-Jo m’avait conduite et enfermée pour le rodage. Et puis une fois le rodage accompli, je raconte le transport jusqu’à la Plaine Saint-Denis dans le taxi de Tété, assise à l’arrière entre Paul-Jo et mon premier geôlier qui parlent de moi comme si je n’existais pas.
-« Avec son cul de blanche, ça va déménager… Tu as vu comme je lui ai appris à bouger les hanches comme les négresses… »
-« C’est sûr, elle est plus que rodée… »
-« C’est le genre de travelo à qui tu dois mettre la pression… Tété, il faut bien lui mettre la pression, frère ! Y a que ça qu’elle comprend cette pute…»
Et je raconte aussi la découverte de ma nouvelle prison, la cour exigüe dont la porte en fer rouillé donne sur l’avenue du Président Wilson grouillante de voitures que l’on entend si proches. Et je décris cette cour sur un des côtés de laquelle s’ouvrent les quatre portes fermières de ce qui a été une écurie, les trois premières en entrant qui sont celles du logis de Tété et de Véronique et la quatrième, celle du fond, logée contre un mûr décourageant de hauteur, qui est celle de ma chambre de passe…
Et je raconte aussi par le menu les conditions très dures que Tété et Véronique m’imposaient, les coups qu’ils me donnaient, les viols que je subissais quand Tété invitait ses potes et qu’après avoir s’être bien bourré la gueule et fumé force ganja, ils déverrouillaient ma porte et débarquaient en meute dans ma turne pour me faire tourner de zob en zob et me pisser dessus, et puis aussi, quand il n’y avait plus personne pour me taper dessus ou me gueuler dessus ou me pisser dessus ou pour me faire tourner, je raconte encore la lourde porte fermière que Tété ou Véronique entrouvraient, jamais le battant du haut, toujours celui du bas, à toute heure du jour ou de la nuit, pour laisser passer les clients toujours blacks à qui je suçais la bite et donnais mon cul de toubab et ma chatte douloureuse et tuméfiée sans un mot, sans un regard.
Et j’explique aussi la cuvette sale en plastique rouge, pleine d’eau croupie dans laquelle dix, douze, quinze fois par jour, je me lavais la chatte après le départ des clients. Et je dis aussi le sentiment de n’être plus que de la viande, la terreur de choper le sida avec toutes ces bites qui m’enfilaient et que j’hébergeais dans mon corps, toutes ces couilles qui se purgeaient en moi par saccades, tout ce foutre que je recueillais dans mon ventre et que j’essuyais, une fois le coït consommé, au dessus de la fameuse cuvette de plastique rouge.
Oui, je raconte tout par le menu, sans rien oublier, ni le riz puant, ni la semoule dégueulasse qui furent mes uniques repas pendant des mois, ni les punitions et les humiliations qui pleuvaient aussi souvent que les coups, ni les douches parcimonieuses, ni les insultes, ni les semaines à ne parler à personne, ni l’incertitude absolue de mon avenir, ni le sentiment d’être abandonnée de tous au cœur de la ville grouillante, ni la conviction que j’allais mourir là si personne ne venait me sauver, ni encore comment j’étais terrorisée par les visites hebdomadaires de Paul-Jo qui passait relever les compteurs et en profitait pour me baiser férocement et me déchirer l’anus, par pur esprit de propriété et par pur sadisme, pour me faire mal et pour toujours plus, me rabaisser à rien.
Lorsqu’enfin je signe le procès-verbal sans même prendre la peine de relire ma déposition qui s’étale sur une dizaine de feuillets bleus, je sens que ma vengeance est là, au bout de mon stylo, contenue toute entière dans le geste rageur de mon paraphe et je me sens soudain libre.
已删除
Les flics m’apportent un sandwich et une bière, les premiers depuis des mois et parce qu’ils en savent assez au sujet de l’affaire, qu’ils ont réuni assez de preuves pour faire tomber mes désormais ex-employeurs, ils m’épargnent les confrontations avec Véronique, Tété et Paul-Jo.
Ils me proposent de me conduire à l’hôpital pour y faire des examens mais je décline l’offre et je poireaute encore mais pas en cage.
Dans la soirée, ils me remettent mes papiers d’identité et quelques paperasses saisies pendant la perquise parmi lesquelles j’ai la joie de retrouver le carnet de chèques et la carte bleue que j’avais dans mon sac à main le soir de printemps où j’ai rejoint Paul-Jo à La Plantation…
Puis comme je demande avec insistance si je vais pouvoir récupérer quelques affaires, les keufs me proposent de profiter d’un voyage qu’ils doivent faire Avenue du Président Wilson pour les besoins de la procédure et je repars avec eux, sirène hurlante et gyrophare éclaboussant de bleu électrique la nuit parisienne.
Sur les lieux de mon calvaire, après que je me sois changée en essayant de ressembler le plus possible à un genre de garçon, après que j’aie tassé dans un sac poubelle des brassées de vêtements, de chaussures, de nécessaire de maquillage, bref tout ce qui me tombe sous la main, les condés placent les scellés sur la porte d’entrée et nous remontons en voiture.
Ils me déposent Porte de la Chapelle avec mon sac poubelle tellement bourré de mes fringues de pute qu’il menace à chaque instant de se déchirer…
Je fais un gros nœud à ce sac et je pique tout droit vers le métro Chapelle en coltinant sur mon épaule mon volumineux fardeau.
Je suis contente qu’il fasse nuit et que je passe à peu près inaperçue.
Tandis que je chemine au milieu de la foule des gens normaux, une idée me trottine dans la tête, un espoir que je n’ose pas me formuler précisément mais qui prend tournure à mesure que j’avance…
J’enquille la rue du Faubourg Saint Denis, je longe la gare du Nord jusqu’à la rue Lafayette et arrivée à l’angle de la gare, je bifurque sur ma gauche pour me retrouver à l’entrée de la Rue d’Alsace que j’ai quittée, contre mon gré, 9 mois plus tôt.
Maintenant, mon espoir se précise.
Je passe devant le 41 et je remarque que le bar arabe où campaient habituellement les dealers de shit du quartier est fermé, rideau baissé… Je m’arrête un peu plus loin et appuyée à la balustrade de pierre d’où l’on découvre les verrières et les rails de la gare de l’Est, je reste longtemps à attendre que quelque chose se passe…
Pendant toute ma claustration et encore maintenant que j’ai miraculeusement retrouvé ma liberté, je m’étais figurée et m’étais persuadée que les mois passés sous le joug de Monsieur Jeannot avaient été la plus belle période de ma vie, que j’avais été presque heureuse de faire la pute pour lui, finalement…
Comme étourdie, je souhaite sincèrement que Monsieur Jeannot m’ait trouvé une remplaçante pour tapiner dans l’ancienne loge de concierge qui m’avait servi de studio de passe. Et j’espère vraiment de tout mon cœur que je vais la voir apparaître bientôt.
J’ai préparé ma phrase d’introduction : - « Bonsoir, excuse-moi de te déranger mais je voudrais savoir si tu tapines pour Monsieur Jeannot…»
Je reste une bonne heure à attendre en tournant la phrase dans ma tête et puis n’y tenant plus et ne voyant rien venir, j’entre au 41 pour découvrir que l’ancienne loge de concierge est grossièrement murée par de lourds parpaings gris.
Dire que je suis déçue est une bien faible expression pour exprimer l’effondrement que j’éprouve à cet instant…
Mon gros sac poubelle sur l’épaule, je descends les marches qui conduisent à la Gare de l’Est et je me dirige vers la consigne. Après y avoir déposé mon sac dans un casier, je ressors de la gare à la recherche d’un distributeur de billets…
Je n’ai qu’une envie : prendre une douche et pleurer en cachette dans une chambre d’hôtel…
Un grand client black arrivé cinq ou dix minutes plus tôt me tient par les épaules et m’encule s’en retenue, me soumettant à une furieuse levrette qui fouaille mes viscères, me fait larmoyer de douleur et par instant, couiner de plaisir.
Dans le silence du petit matin seulement troublé par le bruit de succion mouillé de ma chatte et par le clappement mou et régulier des deux grosses couilles noires et pendantes qui giflent mon périnée, il y a soudain un énorme boucan venu de la porte de la cour, celle qui donne sur l’avenue du Président Wilson.
-« Qu’est-ce que c’est ? » m’interroge le grand black en suspendant à peine son martèlement.
-« Je sais pas… ».
Et je poursuis dans un halètement :
-«Allez ! Finis-toi vite… tu me limes depuis dix minutes, là ! »
Aussitôt après, on entend des bruits de bottes, des cris martiaux, des ordres, des fracas de toutes sortes et 30 secondes plus tard, la porte de la chambre de passe où je suis enfermée depuis des mois vole en morceaux et des flics surgissent armes aux poings dans la pièce…
Autant dire que le grand black qui s’acharnait sur ma croupe et me besognait la chatte en enserrant ma taille des ses larges mains sèches et calleuses, n’a pas le temps de fini son affaire : en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, il se retrouve à terre avec deux bleus agenouillés sur lui pour le menotter, l’un sur son dos et ses omoplates, l’autre sur ses jambes nues.
Le type gémit et supplie et c’est toujours gémissant et suppliant qu’il se retrouve dans la cour, traîné sur quelques mètres par deux flics aussi larges que des armoires.
De l’autre côté de la cloison, Tété que j’avais entendu rentrer un peu plus tôt, après avoir fini sa nuit de taxi, et qui avait ouvert ma porte pour y laisser entrer mon client, s’est vite retrouvé dans la même situation que mon client matinal.
Je les entends, lui et sa femme, hurler et insulter les condés…
Quant à moi, les flics ne me touchent pas et me parlent avec une certaine compassion.
Ils me demandent simplement de me couvrir et de les suivre dans la cour.
Je remets mon string de dentelle, j’att**** un lourd manteau d’hiver que j’enfile par-dessus ma guêpière et je les suis dehors.
C’est donc dans la cour, dans le froid matin et dans une demi-obscurité, qu’à la lumière des torches électriques, les cognes vérifient nos identités… Je ne peux que décliner la mienne et j’explique qu’on m’a confisqué mes papiers dès mon arrivée ici.
-"Ferme ta sale gueule espèce de salope !" me lance un Tété furieux.
Si mon client tremble de peur et supplie encore qu’on lui pardonne et qu’on le laisse partir tranquille, Tété et sa femme Véronique gueulent toujours, se débattent, ruent et protestent contre les manières peu amènes des poulets, les menaçant de porter plainte et d’en référer à leur consulat.
Nous restons dans cette cour grise, froide et malpropre entourée de hauts murs gris où, jusqu’à aujourd’hui, Tété et Véronique m’accordaient parcimonieusement l’autorisation de prendre l’air.
Je me tiens debout près de la porte fracassée de la cellule où j’ai été bouclée à double tour par Tété et Paul-Jo, il y a maintenant huit ou neuf mois et les trois autres, menottés dans le dos, sont assis contre le mur, Tété en pantalon de pyjama et marcel, sa femme, pieds nus et en chemise de nuit et mon client, bite à l’air, cul et jambes nues, seulement habillé d’un tricot verdâtre.
La perquisition a commencé dans les trois pièces voutées où habitent Tété et sa femme et dans celle identique où j’ai été détenue. Ce sont d’anciennes stalles d’écurie qu’un propriétaire rapace a transformées en logis à peine vivable. Ces quatre pièces communiquent avec la cour par des portes fermières dont les deux parties, la haute qui présente l’apparence d’une fenêtre et la basse qui ressemble à une porte, s’ouvrent indépendamment l’une de l’autre.
Nous attendons ainsi pendant une bonne heure en écoutant les crissements, craquements, grincements qui nous parviennent de l’intérieur et nous font comprendre que les flics n’y vont pas de main morte et sont en train de mettre les lieux sans dessus dessous, retournant et pétant tout ce qui leur tombe sous la main.
Puis finalement, tandis que le jour pointe, d’autres flics arrivent et nous font sortir.
Sur l’avenue du Président Wilson, les trottoirs fourmillent déjà de passants filant d’un pas pressé au travail.
Garés devant la porte de la cour, un fourgon de police nous attend dans lequel, moitié traînés, moitié poussés, mon ex-client, la taille entourée d’un vague tissu qui cache sa nudité suivi de Tété et de sa femme en tenue de nuit, sont hissés.
Je sors la dernière sur le trottoir et je m’apprête à prendre le même chemin qu’eux mais non, sous le regard de quelques badauds surpris qu’une créature dans mon genre puisse se trouver ici à une heure pareille, un flic me conduit vers une voiture banalisée dont il ouvre la portière pour me faire asseoir à l’arrière et après qu’il ait pris place à l’avant, côté passager, la voiture démarre en trombe, déboîte brusquement puis sirène deux tons hurlante, commence à se frayer un passage dans les embouteillages matinaux en projetant autour d’elle les froids éclats bleus de son gyrophare.
Rencognée et recroquevillée à l’arrière dans mon épais manteau, mes yeux se gavent du spectacle du grouillement humain dont ils ont été privés depuis de si longs mois…
À la Mondaine, 3 rue de Lutèce, par réflexe de pute mais aussi par peur des représailles, je refuse obstinément de charger Paul-Jo.
J’essaie de finasser mais à mesure qu’on me questionne et que je réponds partiellement et très imparfaitement, je sens monter l’agacement des flics.
Et je perçois moi aussi, au fond de moi, du plus profond de moi, monter ma propre colère.
Colère contre Tété, contre sa femme Véronique. Et contre Paul-Jo.
Cette colère m’envahit, me submerge, m’asphyxie…
Peut-être parce qu’il le sent, l’inspecteur élève subitement la voix jusqu’à presque me gueuler dans les oreilles :
-« Ecoute p’tit con… Tu vas pas m’faire croire que tu trouves ça normal que ces 3 enfoirés t’aient enfermé dans ce cagibi pour te faire passer dessus par tout les foyers Sonacotra du 93 en encaissant l’oseille à ta place ! … »
-« J’ai pas dit ça mais j’suis pas une balance. »
-« Une balance ! Mais t’es con ou quoi ?! »
-« J’suis peut-être conne mais j’suis pas une balance… »
-« Je rêve ! T’as vu trop de films toi… Tu sais comment ça s’appelle ce qu’ils t’ont fait ? »
-« Bin, c’est d’la prostitution, quoi… »
-« Nan, nan, nan ! Ça s’appelle de l’esclavage ! »
-« J’suis pas une balance » je répète butée.
-« Ecoute coco, tu risques rien. Ton mac on l’a serré avant les deux autres ! »
-« Qui ? Paul-Jo ? »
-« Ouais Paul-Jo ou Bamboula, comme tu veux… Et tu sais quoi ? Depuis une semaine qu’on surveille son clandé pourri, tu sais combien t’as fais de michetons ? »
-« Non, j’sais pas…ça fait longtemps que j’compte plus moi.»
-« Hé ben si toi tu comptes pas, nous on a compté pour toi et tu sais combien on en a compté ? »
-« J’m’en fous... »
-« 112 ! On en a compté 112…»
Alors, comme si ce chiffre incroyable ouvrait des vannes, je me mets à chialer.
Je chiale longtemps comme j’ai jamais chialé et je mouille trois ou quatre Kleenex que me tend l’inspecteur.
Et puis je dis
-« Ok… Par quoi, je commence ? »
-« Par le début. »
Alors, je raconte tout depuis le guet-apens de la Plantation, depuis les trois séances consécutives de dressage dans l’appartement où Paul-Jo m’avait conduite et enfermée pour le rodage. Et puis une fois le rodage accompli, je raconte le transport jusqu’à la Plaine Saint-Denis dans le taxi de Tété, assise à l’arrière entre Paul-Jo et mon premier geôlier qui parlent de moi comme si je n’existais pas.
-« Avec son cul de blanche, ça va déménager… Tu as vu comme je lui ai appris à bouger les hanches comme les négresses… »
-« C’est sûr, elle est plus que rodée… »
-« C’est le genre de travelo à qui tu dois mettre la pression… Tété, il faut bien lui mettre la pression, frère ! Y a que ça qu’elle comprend cette pute…»
Et je raconte aussi la découverte de ma nouvelle prison, la cour exigüe dont la porte en fer rouillé donne sur l’avenue du Président Wilson grouillante de voitures que l’on entend si proches. Et je décris cette cour sur un des côtés de laquelle s’ouvrent les quatre portes fermières de ce qui a été une écurie, les trois premières en entrant qui sont celles du logis de Tété et de Véronique et la quatrième, celle du fond, logée contre un mûr décourageant de hauteur, qui est celle de ma chambre de passe…
Et je raconte aussi par le menu les conditions très dures que Tété et Véronique m’imposaient, les coups qu’ils me donnaient, les viols que je subissais quand Tété invitait ses potes et qu’après avoir s’être bien bourré la gueule et fumé force ganja, ils déverrouillaient ma porte et débarquaient en meute dans ma turne pour me faire tourner de zob en zob et me pisser dessus, et puis aussi, quand il n’y avait plus personne pour me taper dessus ou me gueuler dessus ou me pisser dessus ou pour me faire tourner, je raconte encore la lourde porte fermière que Tété ou Véronique entrouvraient, jamais le battant du haut, toujours celui du bas, à toute heure du jour ou de la nuit, pour laisser passer les clients toujours blacks à qui je suçais la bite et donnais mon cul de toubab et ma chatte douloureuse et tuméfiée sans un mot, sans un regard.
Et j’explique aussi la cuvette sale en plastique rouge, pleine d’eau croupie dans laquelle dix, douze, quinze fois par jour, je me lavais la chatte après le départ des clients. Et je dis aussi le sentiment de n’être plus que de la viande, la terreur de choper le sida avec toutes ces bites qui m’enfilaient et que j’hébergeais dans mon corps, toutes ces couilles qui se purgeaient en moi par saccades, tout ce foutre que je recueillais dans mon ventre et que j’essuyais, une fois le coït consommé, au dessus de la fameuse cuvette de plastique rouge.
Oui, je raconte tout par le menu, sans rien oublier, ni le riz puant, ni la semoule dégueulasse qui furent mes uniques repas pendant des mois, ni les punitions et les humiliations qui pleuvaient aussi souvent que les coups, ni les douches parcimonieuses, ni les insultes, ni les semaines à ne parler à personne, ni l’incertitude absolue de mon avenir, ni le sentiment d’être abandonnée de tous au cœur de la ville grouillante, ni la conviction que j’allais mourir là si personne ne venait me sauver, ni encore comment j’étais terrorisée par les visites hebdomadaires de Paul-Jo qui passait relever les compteurs et en profitait pour me baiser férocement et me déchirer l’anus, par pur esprit de propriété et par pur sadisme, pour me faire mal et pour toujours plus, me rabaisser à rien.
Lorsqu’enfin je signe le procès-verbal sans même prendre la peine de relire ma déposition qui s’étale sur une dizaine de feuillets bleus, je sens que ma vengeance est là, au bout de mon stylo, contenue toute entière dans le geste rageur de mon paraphe et je me sens soudain libre.
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Les flics m’apportent un sandwich et une bière, les premiers depuis des mois et parce qu’ils en savent assez au sujet de l’affaire, qu’ils ont réuni assez de preuves pour faire tomber mes désormais ex-employeurs, ils m’épargnent les confrontations avec Véronique, Tété et Paul-Jo.
Ils me proposent de me conduire à l’hôpital pour y faire des examens mais je décline l’offre et je poireaute encore mais pas en cage.
Dans la soirée, ils me remettent mes papiers d’identité et quelques paperasses saisies pendant la perquise parmi lesquelles j’ai la joie de retrouver le carnet de chèques et la carte bleue que j’avais dans mon sac à main le soir de printemps où j’ai rejoint Paul-Jo à La Plantation…
Puis comme je demande avec insistance si je vais pouvoir récupérer quelques affaires, les keufs me proposent de profiter d’un voyage qu’ils doivent faire Avenue du Président Wilson pour les besoins de la procédure et je repars avec eux, sirène hurlante et gyrophare éclaboussant de bleu électrique la nuit parisienne.
Sur les lieux de mon calvaire, après que je me sois changée en essayant de ressembler le plus possible à un genre de garçon, après que j’aie tassé dans un sac poubelle des brassées de vêtements, de chaussures, de nécessaire de maquillage, bref tout ce qui me tombe sous la main, les condés placent les scellés sur la porte d’entrée et nous remontons en voiture.
Ils me déposent Porte de la Chapelle avec mon sac poubelle tellement bourré de mes fringues de pute qu’il menace à chaque instant de se déchirer…
Je fais un gros nœud à ce sac et je pique tout droit vers le métro Chapelle en coltinant sur mon épaule mon volumineux fardeau.
Je suis contente qu’il fasse nuit et que je passe à peu près inaperçue.
Tandis que je chemine au milieu de la foule des gens normaux, une idée me trottine dans la tête, un espoir que je n’ose pas me formuler précisément mais qui prend tournure à mesure que j’avance…
J’enquille la rue du Faubourg Saint Denis, je longe la gare du Nord jusqu’à la rue Lafayette et arrivée à l’angle de la gare, je bifurque sur ma gauche pour me retrouver à l’entrée de la Rue d’Alsace que j’ai quittée, contre mon gré, 9 mois plus tôt.
Maintenant, mon espoir se précise.
Je passe devant le 41 et je remarque que le bar arabe où campaient habituellement les dealers de shit du quartier est fermé, rideau baissé… Je m’arrête un peu plus loin et appuyée à la balustrade de pierre d’où l’on découvre les verrières et les rails de la gare de l’Est, je reste longtemps à attendre que quelque chose se passe…
Pendant toute ma claustration et encore maintenant que j’ai miraculeusement retrouvé ma liberté, je m’étais figurée et m’étais persuadée que les mois passés sous le joug de Monsieur Jeannot avaient été la plus belle période de ma vie, que j’avais été presque heureuse de faire la pute pour lui, finalement…
Comme étourdie, je souhaite sincèrement que Monsieur Jeannot m’ait trouvé une remplaçante pour tapiner dans l’ancienne loge de concierge qui m’avait servi de studio de passe. Et j’espère vraiment de tout mon cœur que je vais la voir apparaître bientôt.
J’ai préparé ma phrase d’introduction : - « Bonsoir, excuse-moi de te déranger mais je voudrais savoir si tu tapines pour Monsieur Jeannot…»
Je reste une bonne heure à attendre en tournant la phrase dans ma tête et puis n’y tenant plus et ne voyant rien venir, j’entre au 41 pour découvrir que l’ancienne loge de concierge est grossièrement murée par de lourds parpaings gris.
Dire que je suis déçue est une bien faible expression pour exprimer l’effondrement que j’éprouve à cet instant…
Mon gros sac poubelle sur l’épaule, je descends les marches qui conduisent à la Gare de l’Est et je me dirige vers la consigne. Après y avoir déposé mon sac dans un casier, je ressors de la gare à la recherche d’un distributeur de billets…
Je n’ai qu’une envie : prendre une douche et pleurer en cachette dans une chambre d’hôtel…
4 年 前