Contact en champ proche
Samedi 28 mai, 16h27
J’ai machinalement regardé l’heure juste avant de m’asseoir. Place des Vosges, aile est, face au soleil qui se couchera dans quelques heures. Je reviens de la gare de Lyon et profite de ces instants de tranquillité avant une semaine qui s’annonce harassante. J’aime la quiétude de ce lieu, enclave au milieu des bâtisses de briques rouges du XVIIe siècle, lieu de calme et de vie en cette fin de journée printanière. Le clapotis de la fontaine face à moi et les rires des enfants tranchent avec le silence des lecteurs allongés sur leur serviette dans l’herbe.
L’une d’entre elles ressort de ce paysage si vivant. Sa peau laiteuse, ses cheveux vénitiens ondulés sont illuminés par les rayons ; elle en est presque éblouissante. Ce doit être une touriste, assurément. Sur la couverture de son livre, le visage d’un homme, sa moitié droite dans une ombre hématique, un pinceau sur son arcade gauche laissant couler quelques gouttes de peinture couleur rouge sang. J’essaye tant bien que mal de déchiffrer le titre : T… P…… … D…… G… Je fronce légèrement les yeux pour affiner mon acuité : Oscar Wilde ! The Picture of Dorian Gray ! Un frisson me parcourt, souvenir de ce texte, de sa mise en scène brillante que je me suis délecté à retourner voir au festival d’Avignon. Je ne retourne JAMAIS voir deux fois la même pièce. En plus d’être élégante, c’est une femme de goût.
Quel âge peut-elle avoir ? La quarantaine, une petite cinquantaine peut-être ; le soleil réfléchissant sur le blanc de ses pages rajeunit sa peau d’au moins une dizaine d’années. Je fixe ses lunettes de soleil espérant y déceler derrière quelque indice supplémentaire… Échec…
Si moi aussi, j’attaquais ma lecture ? C’est quand même la raison principale de ma venue ici. Je sors de mon sac ce qui est pour moi un chef-d’œuvre de la littérature érotique, Le Lien de Vanessa Duriès, analyse autobiographique de la découverte et de l’initiation à la soumission de Laïka, jeune étudiante parisienne. Laïka, tiens ce nom siérait à ravir à ma compagne de lecture au teint de lait. Je me plonge dans mon récit.
Il est très excitant de toujours ignorer ce qui peut advenir au cours d’une séance, de ne jamais prévoir les surprises que le maître vous réserve.
L’imprévu, sel des moments de la vie, celui qui leur donne de la saveur, celui qui met sur notre route des amis, des amours, des emmerdes. Parfois nos enfants, ceux qu’on n’attendait pas pour certains, qu’on n’attendait plus pour d’autres. Celui qui nous défie, qui nous fait lâcher prise, qui nous fait perdre le contrôle.
Car il est une évidence qu’ignorent les non-initiés à cet univers marginal et envoûtant : le maître n’est jamais celui qu’on croit.
Ses mots m’absorbent, me parlent : être dominant, ce n’est pas exiger le respect ! C’est au contraire le laisser s’imposer à celle qui ressent à la fois la solidité et l’empathie de celui entre les mains de qui elle veut se remettre.
Une présence se manifesta soudain et m’arracha de ma torpeur.
Un mouvement dans mon champ de vision périphérique relève mon regard. Ma lectrice vient de changer de position : elle est maintenant de trois-quarts, face à moi, créant une ligne de perspective très agréable à suivre des yeux. Je dessine un peu plus ses courbes grâce au jeu d’ombre et lumière des rayons s’affaissant. De ses doigts tenant son bouquin, je remonte le long de ses bras, frôlant au passage le galbe de ses seins sous sa tunique ajustée ; mon ascension vers ses épaules s’arrête dans les plis noueux de sa nuque. J’entame tranquillement ma descente dans le vallon de ses omoplates, accélère dans la cambrure de ses reins, franchis ses fesses rebondies sous sa jupette froncée à fleurs et dévale tout schuss sur la poudreuse immaculée de ses jambes. Rarement une excursion ne fut si captivante. Une légère chair de poule frise impétueusement l’arrière de ses cuisses. À quoi pense-t-elle ? Ma main se rêve sur son cou. Ses deux compas se meuvent alors dans un battement régulier et hypnotisant. Ma vision acérée neutralise désormais tout ce qui n’est pas son corps. Elle dégage une aura qui m’appelle. Ses verres sombres dissimulent son regard. Elle reste impassible. Qui est-elle ? Elle m’intrigue fortement. Les lignes résonnent comme un écho.
L’être ainsi exhibé apprend le pouvoir de son corps et l’esclave tire sa force de la fascination qu’il exerce sur le maître.
Jouait-elle avec moi ? Sentait-elle le poids de mon regard scrutateur ? Avait-elle pris conscience de la netteté de sa focalisation sur ma rétine ? Absorbé par mes pensées, je dois relire plusieurs fois les mots, les phrases. Un paragraphe me demande de nombreuses secondes à être lu, relu. Cette connexion visuelle avec son corps m’avait donné l’impression d’en prendre possession. Je me perds dans ce désir. Balivernes, on ne prend pas possession d’un corps, c’est lui qui se donne à vous, je ne le sais que trop bien. Il est vain de croire que l’on peut forcer quelqu’un à se soumettre. Pourtant, cette sensation ne quitte pas mes entrailles. Une boule gonfle en moi depuis que mon arborescence cérébrale s’est activée. Elle tire subrepticement mes épaules en arrière, déploie ma cage thoracique et en même temps trouble ma vision. Est-ce ma presbytie naissante ? Que nenni ! Malgré tout, l’esprit perturbé, il me faut déchiffrer lettre à lettre comme si chacun de mes tentacules neuronaux cherchait à les éloigner les unes des autres. Je décide donc de soulager quelque peu mon accommodation en levant la tête… Les acteurs ont quitté la scène… Pelouse vide… Elle est partie… Échec…
– Je suis fier de toi, tu te comportes comme je l’espérais, tu dois continuer.
J’inspire profondément pour relâcher les tensions qui me lardent brusquement. Une connexion n’est jamais à sens unique, pourquoi avais-je perçu le contraire ? Je retourne à ma lecture, toujours envahi de cette présence intérieure. Tellement intense qu’il me fallut de longues minutes pour m’apercevoir de celle, à côté de moi, sur le banc. Elle se signala quand je perçus que je n’étais plus seul à lire mon livre. N’étant jamais agressif dans mes gestes, je m’escrime alors à démasquer l’impudent effronté. Quittant discrètement mon récit, je dévisse la mire de ma visée, vers le sol, lentement vers ma droite.
CHAPITRE VI - L’ENCRE DES FANTASMES
Ce premier contact m’avait surprise, mais je m’offris avec docilité aux caresses de plus en plus insidieuses qui devinrent très vite agréables.
Ces bottines vernies… ces chevilles pâles… je les connais, ou plutôt les reconnais ! Non elle n’a pas disparu ! Mon inconnue est assise sur Mon banc. Comment ai-je pu ne pas la remarquer ? Que faire, lui dire bonjour ? Ou au contraire rester silencieux ? Faire comme si je ne me rendais compte de rien ? Elle semble absorbée par mon livre. Feignant mon ingénuité, je le regagne, non sans modifier légèrement ma position pour lui faciliter la lecture… Gambit…
Après le dîner, nous redescendîmes dans la cave. Clotilde exigea que je la lèche longuement avant de la faire jouir. Je dardai ma langue sur son clitoris et elle ne tarda pas à pousser des gémissements et des râles d’a****l effarouché. Cela me plongea dans un état d’excitation tel que je me sentis prête à faire tout ce qu’on pourrait me demander, pour mon plaisir et pour celui de mon Maître, mon cher et tendre Maître.
Je ne lis plus que par procuration, une ligne sur deux, ou trois. L'histoire en train de s'écrire dans ma tête remplace peu à peu les caractères d'imprimerie. Ses croisements de jambes répétés trahissent son émoi. Elle se contorsionne, replace souvent son bassin. De la pointe de ma langue, j’humidifie mon index et caresse le grain du papier ; c’est son intimité qui glisse sous mes doigts à chaque page que je tourne. Son souffle court et haletant agit comme une caresse sur mon bras. L’imperceptible orientation de son menton remplace progressivement la rotation de ses yeux. Je ne laisse absolument rien transparaître et ne révèle rien de son manège… Gambit accepté…
Je me masturbais, on m’obligeait à le faire, je perdais toute notion de pudeur, plus rien ne me retenait, mon Maître m’observait, je percevais l’intensité de son excitation, je n’étais plus moi-même, […] je n’étais plus qu’un corps qui jouissait de ce qu’on lui imposait.
Je ne reste néanmoins pas insensible à l’excitation émanant de son corps. Elle aiguille soudainement le flux sanguin vers mon bas-ventre. Le remarque-t-elle ? Le banc à peine descellé me transmet chacune de ses contractions musculaires. J’observe ses jambes qu’elle tente de contenir mais les déformations successives de son quadriceps ne mentent pas. Plus lentes, plus longues, plus langoureuses. Ses cuisses se durcissent, ses fessiers se trémoussent alors que les miens se détendent pour autoriser mon membre à se gonfler sous mon chino écru…Grand roque…
Je tremblais de tous mes membres en suppliant Pierre du regard, mais en étant trop orgueilleuse pour extérioriser ma peur.
Pas un mot entre nous, juste ce dialogue des corps, connectés en silence dans le soleil couchant. Autour de nous plus rien n’existe. Le parc se vide autant que nous nous emplissons de ces sensations. Son corps est totalement livré aux mots sur le papier dont je décide du rythme des feuilles. Tantôt lent, tantôt plus rapide. Sa respiration se fait plus bruyante, ses gestes moins discrets. Elle ne s’appartient plus, esclave de son plaisir, dépendante des lignes qu’elle dévore. Je tourne légèrement la tête vers elle en fixant la cîme des arbres, n’entre pas en contact avec ses yeux, je ne veux pas l’apeurer. Un sourire naît au coin de mes lèvres… Clouage…
La lumière mordorée teintait ma peau, mon corps semblait s’imprégner de poudre d’or, je me sentais irrésistiblement belle, et je crois que ce soir-là, tout particulièrement, je l’étais. Maître Didier me ceignit le front d’un bandeau de velours noir. Il me lia les chevilles avec des lanières de cuir reliées par des chaînes aux murs de pierre.
Il saisit mes poignées qu’il écarta en croix, comme mes cuisses, et les emprisonna dans des bracelets d’argent pendus à des chaînes fixées exactement à la clé de voûte.
Prise sur le fait, la main dans le sac ! Comme une enfant ayant fait une bêtise et ne sachant plus quoi faire. S'enfuir à toute vitesse en espérant ne pas avoir été démasquée ? Feindre la méprise et l'incompréhension ? Le souffle court, je la sens se raidir, elle reste paralysée. Je ne la dévisage pas et, rassurant envers elle, murmure un petit « Chut… »… Échec à la découverte…
Je transpirais abondamment, mon corps se tendait en une supplication muette, mais évidemment éloquente. Comme je le savais maintenant, la douleur qui me tenaillait se mua lentement en plaisir et je me dis que je jouissais, que j’avais mal mais que je jouissais. Comme s’ils avaient deviné l’intensité de mon plaisir que j’avais dissimulé de mon mieux sous des râles et des sursauts […]
Je laisse le silence prendre son ampleur, guettant sans la regarder la moindre de ses réactions. Elle ne dit rien, ne bouge plus. La conversation entre nous est installée. J’entreprends à haute voix la suite du récit :
– Maître Didier s’approcha de moi, un curieux appareil à la main. Cela tenait à la fois de la perceuse électrique et du mini-aspirateur. J’appris plus tard qu’il s’agissait d’un vibromasseur très spécial que le maître avait fait venir des États-Unis. Il mit en marche le mécanisme électrique qui produit un sourd bourdonnement.
Puis Maître Didier posa la ventouse sur mon clitoris naturellement dégagé par la position de mes cuisses écartelées. Un frisson vertigineux me parcourut instantanément comme si j’avais été branchée sur un courant électrique à la fois très doux et insupportable.
Je sentais les pointes de mes seins se dresser, mon ventre se liquéfier et mes yeux s’écarquillèrent de surprise et d’horreur, car je compris que si Maître Didier n’arrêtait pas aussitôt le mécanisme, j’allais me mettre à pisser mon plaisir comme une petite débutante. Je poussais des couinements de chienne ce qui incita le maître à accentuer la pression de l’instrument infernal au centre de mes cuisses qui tremblaient nerveusement. Mais brutalement, il interrompit la pression, éteignit l’appareil et je me retrouvai suspendue dans le vide, flageolant sur mes jambes encore agitées de tremblements, le cœur battant à se rompre, le sexe inondé au point que je crus un instant que la cyprine coulait jusque sur mes cuisses.
Je te la sens tout ouïe comme pénétrée par les mots prononcés de ma voix grave. Sa ceinture pelvienne se crispe, balance son bassin en avant et renvoie ses épaules et sa tête en arrière, ses seins écrasés par la maille du tissu. Un gémissement s’échappe de sa bouche. Le banc se transforme en métronome sous les mouvements de ma délicate auditrice. Ses cuisses se referment l’une contre l’autre et elle reprend ses contractions de plus belle. Elle contient ses geignements. Je me tais, écoutant les douces notes de son plaisir jusqu’à leur assourdissement. Sa respiration saccadée me supplie de continuer... Capture de la Dame…
– Je repris lentement mon souffle, pendant que Didier, accompagné de Pierre, passait derrière moi pour inspecter mon corps et les ravages provoquée par ce vibrateur infernal. Je sentis des doigts gainés de latex écarter mes lèvres, s’introduire dans mon intimité, évaluer l’humidité involontaire que le contact de l’appareil avait suscité.
Le rythme de ses déhanchements s’accélère subitement. Ses genoux se mettent à tourner en cercles contraires. Elle cherche à maximiser le contact entre ses lèvres et ce banc. J’imagine les torsions appliquées à son bouton sur le point d’exploser. Les râles se font de plus en plus profonds… Ultime tentative désespérée de résistance, derniers sacrifices… Échec…
– Didier remit en marche le mécanisme vibratoire en laissant le spéculum ouvert entre mes reins. La tension vertigineuse remonta en moi instantanément, il me dit alors :
— Profites-en, tu as le droit de jouir.
Alors j’obéis comme une démente. Je jouissais librement, sans retenue, sans pouvoir m’arrêter. Je n’étais plus moi-même. Je n’avais jamais senti mon ventre réagir ainsi : il coulait de plaisir sans que je n’y puisse rien, le liquide tiède ruisselait le long de mes cuisses et cette sensation nouvelle était à la fois humiliante et agréable. Pierre et Didier venait de m’apporter la preuve que je n’étais qu’un objet privé de volonté, incapable de se contenir, incapable de refuser l’orgasme. Mon maître interrompit brusquement mon plaisir par ses paroles : « Tu es indécente, Laïka », mais cela décupla ma jouissance…
À l’orée de ces mots, elle explose. L’onde de ma voix se propage de mes cordes vocales à ses tympans, s’amplifie et déclenche un tsunami en elle. Elle se cambre en arrière, colonne empalée sur le dossier du banc, spasmes incontrôlés et corps tétanisé en même temps, abdominaux crampés. Ses jambes s’étirent violemment, ses mains agrippent l’assise en bois, la tension de ses doigts sculpte chacun de ses tendons, chaque veine explose sous sa peau. Et ce cri, déchirant le silence, écho de ce ravage intérieur, de cette jouissance extrême, de ce raz-de-marée dévastateur… le chant du cygne… Échec…
…et Mat.
J’ai machinalement regardé l’heure juste avant de m’asseoir. Place des Vosges, aile est, face au soleil qui se couchera dans quelques heures. Je reviens de la gare de Lyon et profite de ces instants de tranquillité avant une semaine qui s’annonce harassante. J’aime la quiétude de ce lieu, enclave au milieu des bâtisses de briques rouges du XVIIe siècle, lieu de calme et de vie en cette fin de journée printanière. Le clapotis de la fontaine face à moi et les rires des enfants tranchent avec le silence des lecteurs allongés sur leur serviette dans l’herbe.
L’une d’entre elles ressort de ce paysage si vivant. Sa peau laiteuse, ses cheveux vénitiens ondulés sont illuminés par les rayons ; elle en est presque éblouissante. Ce doit être une touriste, assurément. Sur la couverture de son livre, le visage d’un homme, sa moitié droite dans une ombre hématique, un pinceau sur son arcade gauche laissant couler quelques gouttes de peinture couleur rouge sang. J’essaye tant bien que mal de déchiffrer le titre : T… P…… … D…… G… Je fronce légèrement les yeux pour affiner mon acuité : Oscar Wilde ! The Picture of Dorian Gray ! Un frisson me parcourt, souvenir de ce texte, de sa mise en scène brillante que je me suis délecté à retourner voir au festival d’Avignon. Je ne retourne JAMAIS voir deux fois la même pièce. En plus d’être élégante, c’est une femme de goût.
Quel âge peut-elle avoir ? La quarantaine, une petite cinquantaine peut-être ; le soleil réfléchissant sur le blanc de ses pages rajeunit sa peau d’au moins une dizaine d’années. Je fixe ses lunettes de soleil espérant y déceler derrière quelque indice supplémentaire… Échec…
Si moi aussi, j’attaquais ma lecture ? C’est quand même la raison principale de ma venue ici. Je sors de mon sac ce qui est pour moi un chef-d’œuvre de la littérature érotique, Le Lien de Vanessa Duriès, analyse autobiographique de la découverte et de l’initiation à la soumission de Laïka, jeune étudiante parisienne. Laïka, tiens ce nom siérait à ravir à ma compagne de lecture au teint de lait. Je me plonge dans mon récit.
Il est très excitant de toujours ignorer ce qui peut advenir au cours d’une séance, de ne jamais prévoir les surprises que le maître vous réserve.
L’imprévu, sel des moments de la vie, celui qui leur donne de la saveur, celui qui met sur notre route des amis, des amours, des emmerdes. Parfois nos enfants, ceux qu’on n’attendait pas pour certains, qu’on n’attendait plus pour d’autres. Celui qui nous défie, qui nous fait lâcher prise, qui nous fait perdre le contrôle.
Car il est une évidence qu’ignorent les non-initiés à cet univers marginal et envoûtant : le maître n’est jamais celui qu’on croit.
Ses mots m’absorbent, me parlent : être dominant, ce n’est pas exiger le respect ! C’est au contraire le laisser s’imposer à celle qui ressent à la fois la solidité et l’empathie de celui entre les mains de qui elle veut se remettre.
Une présence se manifesta soudain et m’arracha de ma torpeur.
Un mouvement dans mon champ de vision périphérique relève mon regard. Ma lectrice vient de changer de position : elle est maintenant de trois-quarts, face à moi, créant une ligne de perspective très agréable à suivre des yeux. Je dessine un peu plus ses courbes grâce au jeu d’ombre et lumière des rayons s’affaissant. De ses doigts tenant son bouquin, je remonte le long de ses bras, frôlant au passage le galbe de ses seins sous sa tunique ajustée ; mon ascension vers ses épaules s’arrête dans les plis noueux de sa nuque. J’entame tranquillement ma descente dans le vallon de ses omoplates, accélère dans la cambrure de ses reins, franchis ses fesses rebondies sous sa jupette froncée à fleurs et dévale tout schuss sur la poudreuse immaculée de ses jambes. Rarement une excursion ne fut si captivante. Une légère chair de poule frise impétueusement l’arrière de ses cuisses. À quoi pense-t-elle ? Ma main se rêve sur son cou. Ses deux compas se meuvent alors dans un battement régulier et hypnotisant. Ma vision acérée neutralise désormais tout ce qui n’est pas son corps. Elle dégage une aura qui m’appelle. Ses verres sombres dissimulent son regard. Elle reste impassible. Qui est-elle ? Elle m’intrigue fortement. Les lignes résonnent comme un écho.
L’être ainsi exhibé apprend le pouvoir de son corps et l’esclave tire sa force de la fascination qu’il exerce sur le maître.
Jouait-elle avec moi ? Sentait-elle le poids de mon regard scrutateur ? Avait-elle pris conscience de la netteté de sa focalisation sur ma rétine ? Absorbé par mes pensées, je dois relire plusieurs fois les mots, les phrases. Un paragraphe me demande de nombreuses secondes à être lu, relu. Cette connexion visuelle avec son corps m’avait donné l’impression d’en prendre possession. Je me perds dans ce désir. Balivernes, on ne prend pas possession d’un corps, c’est lui qui se donne à vous, je ne le sais que trop bien. Il est vain de croire que l’on peut forcer quelqu’un à se soumettre. Pourtant, cette sensation ne quitte pas mes entrailles. Une boule gonfle en moi depuis que mon arborescence cérébrale s’est activée. Elle tire subrepticement mes épaules en arrière, déploie ma cage thoracique et en même temps trouble ma vision. Est-ce ma presbytie naissante ? Que nenni ! Malgré tout, l’esprit perturbé, il me faut déchiffrer lettre à lettre comme si chacun de mes tentacules neuronaux cherchait à les éloigner les unes des autres. Je décide donc de soulager quelque peu mon accommodation en levant la tête… Les acteurs ont quitté la scène… Pelouse vide… Elle est partie… Échec…
– Je suis fier de toi, tu te comportes comme je l’espérais, tu dois continuer.
J’inspire profondément pour relâcher les tensions qui me lardent brusquement. Une connexion n’est jamais à sens unique, pourquoi avais-je perçu le contraire ? Je retourne à ma lecture, toujours envahi de cette présence intérieure. Tellement intense qu’il me fallut de longues minutes pour m’apercevoir de celle, à côté de moi, sur le banc. Elle se signala quand je perçus que je n’étais plus seul à lire mon livre. N’étant jamais agressif dans mes gestes, je m’escrime alors à démasquer l’impudent effronté. Quittant discrètement mon récit, je dévisse la mire de ma visée, vers le sol, lentement vers ma droite.
CHAPITRE VI - L’ENCRE DES FANTASMES
Ce premier contact m’avait surprise, mais je m’offris avec docilité aux caresses de plus en plus insidieuses qui devinrent très vite agréables.
Ces bottines vernies… ces chevilles pâles… je les connais, ou plutôt les reconnais ! Non elle n’a pas disparu ! Mon inconnue est assise sur Mon banc. Comment ai-je pu ne pas la remarquer ? Que faire, lui dire bonjour ? Ou au contraire rester silencieux ? Faire comme si je ne me rendais compte de rien ? Elle semble absorbée par mon livre. Feignant mon ingénuité, je le regagne, non sans modifier légèrement ma position pour lui faciliter la lecture… Gambit…
Après le dîner, nous redescendîmes dans la cave. Clotilde exigea que je la lèche longuement avant de la faire jouir. Je dardai ma langue sur son clitoris et elle ne tarda pas à pousser des gémissements et des râles d’a****l effarouché. Cela me plongea dans un état d’excitation tel que je me sentis prête à faire tout ce qu’on pourrait me demander, pour mon plaisir et pour celui de mon Maître, mon cher et tendre Maître.
Je ne lis plus que par procuration, une ligne sur deux, ou trois. L'histoire en train de s'écrire dans ma tête remplace peu à peu les caractères d'imprimerie. Ses croisements de jambes répétés trahissent son émoi. Elle se contorsionne, replace souvent son bassin. De la pointe de ma langue, j’humidifie mon index et caresse le grain du papier ; c’est son intimité qui glisse sous mes doigts à chaque page que je tourne. Son souffle court et haletant agit comme une caresse sur mon bras. L’imperceptible orientation de son menton remplace progressivement la rotation de ses yeux. Je ne laisse absolument rien transparaître et ne révèle rien de son manège… Gambit accepté…
Je me masturbais, on m’obligeait à le faire, je perdais toute notion de pudeur, plus rien ne me retenait, mon Maître m’observait, je percevais l’intensité de son excitation, je n’étais plus moi-même, […] je n’étais plus qu’un corps qui jouissait de ce qu’on lui imposait.
Je ne reste néanmoins pas insensible à l’excitation émanant de son corps. Elle aiguille soudainement le flux sanguin vers mon bas-ventre. Le remarque-t-elle ? Le banc à peine descellé me transmet chacune de ses contractions musculaires. J’observe ses jambes qu’elle tente de contenir mais les déformations successives de son quadriceps ne mentent pas. Plus lentes, plus longues, plus langoureuses. Ses cuisses se durcissent, ses fessiers se trémoussent alors que les miens se détendent pour autoriser mon membre à se gonfler sous mon chino écru…Grand roque…
Je tremblais de tous mes membres en suppliant Pierre du regard, mais en étant trop orgueilleuse pour extérioriser ma peur.
Pas un mot entre nous, juste ce dialogue des corps, connectés en silence dans le soleil couchant. Autour de nous plus rien n’existe. Le parc se vide autant que nous nous emplissons de ces sensations. Son corps est totalement livré aux mots sur le papier dont je décide du rythme des feuilles. Tantôt lent, tantôt plus rapide. Sa respiration se fait plus bruyante, ses gestes moins discrets. Elle ne s’appartient plus, esclave de son plaisir, dépendante des lignes qu’elle dévore. Je tourne légèrement la tête vers elle en fixant la cîme des arbres, n’entre pas en contact avec ses yeux, je ne veux pas l’apeurer. Un sourire naît au coin de mes lèvres… Clouage…
La lumière mordorée teintait ma peau, mon corps semblait s’imprégner de poudre d’or, je me sentais irrésistiblement belle, et je crois que ce soir-là, tout particulièrement, je l’étais. Maître Didier me ceignit le front d’un bandeau de velours noir. Il me lia les chevilles avec des lanières de cuir reliées par des chaînes aux murs de pierre.
Il saisit mes poignées qu’il écarta en croix, comme mes cuisses, et les emprisonna dans des bracelets d’argent pendus à des chaînes fixées exactement à la clé de voûte.
Prise sur le fait, la main dans le sac ! Comme une enfant ayant fait une bêtise et ne sachant plus quoi faire. S'enfuir à toute vitesse en espérant ne pas avoir été démasquée ? Feindre la méprise et l'incompréhension ? Le souffle court, je la sens se raidir, elle reste paralysée. Je ne la dévisage pas et, rassurant envers elle, murmure un petit « Chut… »… Échec à la découverte…
Je transpirais abondamment, mon corps se tendait en une supplication muette, mais évidemment éloquente. Comme je le savais maintenant, la douleur qui me tenaillait se mua lentement en plaisir et je me dis que je jouissais, que j’avais mal mais que je jouissais. Comme s’ils avaient deviné l’intensité de mon plaisir que j’avais dissimulé de mon mieux sous des râles et des sursauts […]
Je laisse le silence prendre son ampleur, guettant sans la regarder la moindre de ses réactions. Elle ne dit rien, ne bouge plus. La conversation entre nous est installée. J’entreprends à haute voix la suite du récit :
– Maître Didier s’approcha de moi, un curieux appareil à la main. Cela tenait à la fois de la perceuse électrique et du mini-aspirateur. J’appris plus tard qu’il s’agissait d’un vibromasseur très spécial que le maître avait fait venir des États-Unis. Il mit en marche le mécanisme électrique qui produit un sourd bourdonnement.
Puis Maître Didier posa la ventouse sur mon clitoris naturellement dégagé par la position de mes cuisses écartelées. Un frisson vertigineux me parcourut instantanément comme si j’avais été branchée sur un courant électrique à la fois très doux et insupportable.
Je sentais les pointes de mes seins se dresser, mon ventre se liquéfier et mes yeux s’écarquillèrent de surprise et d’horreur, car je compris que si Maître Didier n’arrêtait pas aussitôt le mécanisme, j’allais me mettre à pisser mon plaisir comme une petite débutante. Je poussais des couinements de chienne ce qui incita le maître à accentuer la pression de l’instrument infernal au centre de mes cuisses qui tremblaient nerveusement. Mais brutalement, il interrompit la pression, éteignit l’appareil et je me retrouvai suspendue dans le vide, flageolant sur mes jambes encore agitées de tremblements, le cœur battant à se rompre, le sexe inondé au point que je crus un instant que la cyprine coulait jusque sur mes cuisses.
Je te la sens tout ouïe comme pénétrée par les mots prononcés de ma voix grave. Sa ceinture pelvienne se crispe, balance son bassin en avant et renvoie ses épaules et sa tête en arrière, ses seins écrasés par la maille du tissu. Un gémissement s’échappe de sa bouche. Le banc se transforme en métronome sous les mouvements de ma délicate auditrice. Ses cuisses se referment l’une contre l’autre et elle reprend ses contractions de plus belle. Elle contient ses geignements. Je me tais, écoutant les douces notes de son plaisir jusqu’à leur assourdissement. Sa respiration saccadée me supplie de continuer... Capture de la Dame…
– Je repris lentement mon souffle, pendant que Didier, accompagné de Pierre, passait derrière moi pour inspecter mon corps et les ravages provoquée par ce vibrateur infernal. Je sentis des doigts gainés de latex écarter mes lèvres, s’introduire dans mon intimité, évaluer l’humidité involontaire que le contact de l’appareil avait suscité.
Le rythme de ses déhanchements s’accélère subitement. Ses genoux se mettent à tourner en cercles contraires. Elle cherche à maximiser le contact entre ses lèvres et ce banc. J’imagine les torsions appliquées à son bouton sur le point d’exploser. Les râles se font de plus en plus profonds… Ultime tentative désespérée de résistance, derniers sacrifices… Échec…
– Didier remit en marche le mécanisme vibratoire en laissant le spéculum ouvert entre mes reins. La tension vertigineuse remonta en moi instantanément, il me dit alors :
— Profites-en, tu as le droit de jouir.
Alors j’obéis comme une démente. Je jouissais librement, sans retenue, sans pouvoir m’arrêter. Je n’étais plus moi-même. Je n’avais jamais senti mon ventre réagir ainsi : il coulait de plaisir sans que je n’y puisse rien, le liquide tiède ruisselait le long de mes cuisses et cette sensation nouvelle était à la fois humiliante et agréable. Pierre et Didier venait de m’apporter la preuve que je n’étais qu’un objet privé de volonté, incapable de se contenir, incapable de refuser l’orgasme. Mon maître interrompit brusquement mon plaisir par ses paroles : « Tu es indécente, Laïka », mais cela décupla ma jouissance…
À l’orée de ces mots, elle explose. L’onde de ma voix se propage de mes cordes vocales à ses tympans, s’amplifie et déclenche un tsunami en elle. Elle se cambre en arrière, colonne empalée sur le dossier du banc, spasmes incontrôlés et corps tétanisé en même temps, abdominaux crampés. Ses jambes s’étirent violemment, ses mains agrippent l’assise en bois, la tension de ses doigts sculpte chacun de ses tendons, chaque veine explose sous sa peau. Et ce cri, déchirant le silence, écho de ce ravage intérieur, de cette jouissance extrême, de ce raz-de-marée dévastateur… le chant du cygne… Échec…
…et Mat.
2 年 前